abdelhalim berri المدير العام
الإسم الحقيقي : Abdelhalim BERRI البلد : Royaume du Maroc
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| موضوع: La Poudre aux yeux Acte I---Scènes 1-2-3-4-5-6 الأحد 27 فبراير 2011, 20:56 | |
| Eugène LabicheLe titre de la pièce de théâtre La Poudre aux yeuxComédie en prose, en deux actesPar Eugène Labiche et Edouard MartinReprésentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 19 octobre 1861PersonnagesRatinois: Malingear:: BlaisotFrédéric: Un tapissier: Un maître d'hôtel: Constance, femme de Ratinois: Blanche, femme de Malingear: Emmeline, fille de Malingear:, femme de chambre de madame Malingear: , femme de chambre de madame Ratinois:, cuisinière de Malingear: Un chasseur en livrée: Un domestique: Un petit nègre: Acte IUn salon bourgeois chez Malingear: piano à gauche, bureau à droite, guéridon au milieu.Scène premièreMadame Malingear, Sophie, un panier sous le bras.Sophie. - Alors, madame, il ne faudra pas de poisson?Madame Malingear, assise à droite du guéridon et travaillant. - Non!... Il a fait du vent toute la semaine, il doit être hors de prix... Mais tâchez que votre filet soit avantageux.Sophie. - Et pour légumes?... On commence à voir des petits pois.Madame Malingear. - Vous savez bien que les primeurs n'ont pas de goût... Vous nous ferez un chou farci.Sophie. - Comme la semaine dernière?...Madame Malingear. - En revenant du marché, vous apporterez votre livre. Nous compterons.Sophie. - Bien, madame.Elle sort par la droite.Scène IIMadame Malingear, MalingearMalingear, entrant par le fond. - C'est moi... Bonjour, ma femme!Madame Malingear. - Tiens... tu étais sorti?... D'où viens-tu?...Malingear. - Je viens de voir ma clientèle.Madame Malingear. - Ta clientèle! Je te conseille d'en parler... Tu ne soignes que les accidents de la rue, les gens qu'on écrase ou qui tombent par les fenêtres.Malingear, s'asseyant. - Eh bien, ce matin, on est venu me chercher à six heures... chez moi... J'ai un malade.Madame Malingear. - C'est un étranger, alors?Malingear. - Non... un Français.Madame Malingear. - C'est la première fois, depuis deux ans, qu'on songe à te déranger.Malingear, gaiement. - Je me lance.Madame Malingear. - A cinquante-quatre ans, il est temps! Veux-tu que je te dise: c'est le savoir-faire qui te manque, tu as une manière si ridicule d'entendre la médecine!Malingear. - Comment?...Madame Malingear. - Quand, par hasard, le ciel t'envoie un client, tu commences par le rassurer... Tu lui dis: "Ce n'est rien! c'est l'affaire de quelques jours."Malingear. - Pourquoi effrayer?Madame Malingear. - Avec ce système-là, tu as toujours l'air d'avoir guéri un bobo, une engelure!... Je connais plusieurs de tes confrères... de vrais médecins, ceux-là! quand ils approchent un malade, ce n'est pas pour deux jours! Ils disent tout de suite: "Ce sera long, très long!" Et ils appellent un de leurs collègues en consultation.Malingear. - A quoi bon?...Madame Malingear. - C'est une politesse que celui-ci s'empresse de rendre la semaine suivante... Voilà comment on se fait une clientèle!Malingear, se levant. - Quant à moi, jamais!Madame Malingear. - Toi, avec ta bonhomie, tu as perdu peu à peu tous tes clients... Il t'en restait un... le dernier... un brave homme...Malingear. - M. Dubourg... notre voisin?Madame Malingear. - Il avait avalé une aiguille, sans s'en douter... Tu le traites quinze jours... Très bien!... ça marchait... Mais voilà qu'un beau matin tu as la bêtise de lui dire: "Mon cher monsieur Dubourg, je ne comprends rien du tout à votre maladie."Malingear. - Dame!... quand on ne comprend pas!...Madame Malingear. - Quand on ne comprend pas... on dit: "C'est nerveux!..." Ah! si j'étais médecin!...Malingear. - Quel charlatan tu ferais!...Madame Malingear. - Heureusement que la Providence nous a donné vingt-deux bonnes mille livres de rente, et que nous n'attendons pas après ta clientèle. Qu'est-ce que c'est que cette personne qui est venue ce matin?...Elle se rassied.Malingear, un peu embarrassé. C'est... c'est un jeune homme...Madame Malingear. - De famille?Malingear, prenant des billets de banque dans un tiroir du bureau. - Oui... il a de la famille... Tiens, prends ces quatre mille francs.Madame Malingear. - Pour quoi faire?Malingear. - Nous avons fait renouveler notre meuble de salon, et c'est aujourd'hui que le tapissier doit venir toucher sa note.Madame Malingear, Prenant les billets de banque. - Ah! c'est juste... Eh bien, ce client?Elle se lève.Malingear. - Ah! que tu es curieuse!... C'est un cocher de la maison qui a reçu un coup de pied de cheval... Là!Madame Malingear. - Un cocher?... Mon compliment!... Demain, on viendra te chercher pour le cheval.Malingear. - Plaisante tant que tu voudras! mais je suis enchanté d'avoir donné mes soins à ce brave garçon... En causant avec lui, j'ai appris des choses...Madame Malingear. - Quoi donc?Malingear. - On jase sur notre maison.Madame Malingear. - Sur nous?... Que peut-on dire?Malingear. - Pas sur nous; mais sur ce jeune homme qui vient tous les jours faire de la musique avec ta fille.Madame Malingear. - M. Frédéric? dont nous avons fait connaissance l'été dernier aux bains de mer de Pornic?Malingear. - On dit que c'est le prétendu d'Emmeline. Hier soir, chez le concierge, on a même fixé le jour du mariage.Madame Malingear. - Ah! mon Dieu!Malingear. - Tu vois qu'il est quelquefois bon de soigner les cochers.Madame Malingear. - Que faire?...Malingear. - Il faut trancher dans le vif... Certainement M. Frédéric est très gentil, très distingué...Madame Malingear. - Ah! charmant!Malingear. - Et c'est fort aimable à lui de venir tapoter notre piano sept fois par semaine; mais il faut qu'il s'explique... Il est temps,. grand temps!...Madame Malingear. - Comment?...Malingear. - Emmeline est triste... elle ne mange plus.Madame Malingear. - Si je faisais venir le médecin?Malingear. - Le médecin?... Eh bien, et moi?Madame Malingear. - Ah! oui, c'est juste!... (A part.) C'est plus fort que moi... je n'ai aucune confiance en lui!...Malingear. - Hier, pendant que M. Frédéric chantait un duo avec ta fille, j'ai surpris des regards... très lyriques!Madame Malingear. - Je t'avoue que j'avais songé à lui pour Emmeline.Malingear. - Parbleu! moi aussi. Il me plaît beaucoup, ce garçon... et s'il est d'une bonne famille...Madame Malingear. - Mais il ne se prononce pas...Malingear. - Sois tranquille... voici son heure... tu vas le voir apparaître avec son petit cahier de musique. (Apercevant Frédéric.) Voilà!Scène IIILes Mêmes, Frédéric; puis EmmelineFrédéric, il entre du fond avec un cahier de musique sous le bras; saluant. - Madame... monsieur Malingear...Malingear. - Monsieur Frédéric...Frédéric. - Comment vous portez-vous, ce matin?...Madame Malingear. - Très bien.Malingear. - Parfaitement.Madame Malingear, bas à son mari. - Parle-lui.Malingear, bas. - Oui; laisse-moi saisir un joint.Frédéric. - Je ne vois pas mademoiselle Emmeline... Serait-elle malade?Malingear. - Non, mais...Frédéric, ouvrant son cahier de musique. - Je lui apporte une romance nouvelle... un titre charmant: le Premier SoupirMadame Malingear, toussant. - Hum!...Malingear, bas à sa femme. - Oui. (Haut.) Monsieur Frédéric, vous êtes un bon jeune homme... et vous ne trouverez pas mauvais que nous vous demandions, ma femme et moi, cinq minutes d'entretien.Frédéric. - A moi!...Sur un signe de Malingear, on s'assied.Malingear. - Monsieur Frédéric, vous avez trop d'esprit pour ne pas comprendre que vos visites assidues, dans une maison...Emmeline, entrant de la droite. - Bonjour, papa!Malingear, bas. - Chut!..., ma fille!Frédéric se lève.Madame Malingear. - Vous nous disiez, monsieur, que cette romance faisait fureur?...Malingear. - De qui est la musique?Frédéric. - D'un Suédois.Emmeline. - Comment s'appelle-t-elle?Frédéric. - Le Premier Soupir.Malingear, vivement. - D'une mère...Madame Malingear, de même. - Pour son enfant.Emmeline. - Ah! que ce titre est long!Madame Malingear. - Emmeline, j'ai oublié mon coton sur l'étagère, dans ma chambre, va me le chercher.Emmeline. - Oui, maman.Elle sort; Frédéric se rassied.Malingear, à Frédéric. - Je vous disais donc que vos visites assidues, dans une maison où il y a une jeune fille, pouvaient paraître étranges à certaines personnes.... Et, ce matin encore, un de mes clients... un...Madame Malingear. - Un banquier...Frédéric. - Mais, monsieur... il me semble que ma conduite a toujours été...Malingear. - Parfaite... je le reconnais... Mais, vous savez, le monde est prompt à interpréter...Emmeline, rentrant. - Maman, voilà ton coton.Malingear, changeant de ton. - C'est un fort joli sujet de romance... cette mère près du berceau de sa fille... et qui soupire.Madame Malingear. - C'est délicieux.Malingear. - On en ferait presque une pendule... en bronze.Madame Malingear. - Emmeline, j'ai cassé mon aiguille à broder, va m'en chercher une autre.Emmeline. - Oui, maman... (A part.) Voilà deux fois qu'elle me renvoie! Oh! il y a quelque chose!Elle disparaît.Malingear. - Je vous disais donc que le monde était prompt à interpréter les démarches les plus naturelles, les plus innocentes... Mais il est de la sagesse d'un père de couper court à ces vagues rumeurs par une explication nette et franche.Madame Malingear, bas à son mari. - Très bien!Malingear. - Ce que nous attendons de vous, c'est une réponse loyale.Frédéric, se levant. - Laissez-moi vous remercier, avant tout, monsieur Malingear, d'avoir placé la question sur un terrain que la crainte seule m'empêchait d'aborder. Je n'éprouve aucun embarras maintenant à vous avouer que j'aime mademoiselle Emmeline, et que le plus doux de mes rêves serait de l'obtenir en mariage.Madame Malingear, à part. - Je m'en doutais.Malingear, se levant, ainsi que sa femme. - A la bonne heure, ceci est clair!... Oserais-je vous demander maintenant quelques renseignements...Frédéric. - Sur ma famille.:. sur ma profession?... Bien volontiers. Je suis avocat.Malingear. - Ah bah! Excusez mon étonnement... mais, depuis deux mois que j'ai l'honneur de vous connaître, vous êtes toujours sur mon piano...Frédéric. - Oh!... je suis avocat...Malingear. - Exécutant?Frédéric. - Non! mais je commence... J'ai peu de clients.Malingear. - Je connais ça!... Je ne vous en veux pas!Frédéric. - Du reste, ma position est indépendante... Mon père, ancien négociant, s'est retiré des affaires avec une fortune honorable... Je suis fils unique.Madame Malingear, à part. - Ah!Frédéric. - Enfin, je n'ai pas cru devoir cacher à mes parents les sentiments que j'éprouve pour mademoiselle Emmeline; et j'espère qu'avant peu, mon père et ma mère feront près de vous une démarche qui imposera silence à toutes les interprétations.Madame Malingear, bas à son mari. - Il s'exprime avec un charme...Malingear, à sa femme. - Un avocat!... (A Frédéric.) Monsieur Frédéric, madame Malingear et moi, nous apprécierons comme elle le mérite la démarche que vous nous annoncez.Frédéric. - Ah! monsieur...Malingear. - Mais, d'ici là, nous vous demandons comme un service de vouloir bien suspendre vos visites...Frédéric. - Comment?...Madame Malingear. - Pour le monde, monsieur Frédéric, pour le monde...Malingear. - Vous reviendrez, dans quelques jours... officiellement... Tenez, emportez votre musique.Il lui remet son cahier, qu'il a pris sur le piano.Frédéric. - Allons, puisque vous l'exigez... Mais qu'est-ce que je vais faire?Malingear. - Allez un petit peu au Palais... ça vous distraira...Frédéric. - Oh! non, le Palais... Je vais faire un tour au Musée.Malingear, à part. - Si celui-là devient bâtonnier!...Frédéric, saluant. - Madame... monsieur... (A Malingear en sortant.) Veuillez dire à mademoiselle Emmeline que je l'aime, que je l'adore... et tant qu'un souffle d'existence...Malingear, l'accompagnant. - Oui... plus tard... pas si haut!...Ils sortent par le fond.Scène IVMadame Malingear, Emmeline; puis Malingear; puis AlexandrineMadame Malingear. - C'est un bon jeune homme!Emmeline, entrant. - Oh! oui, c'est un bon jeune homme! et je suis certaine d'être heureuse avec lui!Madame Malingear, étonnée. - Hein?... qu'est-ce que tu dis-là?... Comment sais-tu?...Emmeline, confuse. - J'ai entendu un peu... sans le vouloir... en cherchant ton aiguille qui était tombée près de la porte.Madame Malingear, l'imitant. - "En cherchant ton aiguille!..." C'est très mal d'écouter aux portes!Emmeline. - Oh! ne me gronde pas; je te dirai un secret.Madame Malingear. - Un secret?Emmeline. - Hier, pendant que tu es allée ouvrir la fenêtre, M. Frédéric m'a confié que sa mère devait venir ici, ce matin.Madame Malingear. - Aujourd'hui?...Emmeline. - Sous le prétexte de causer de l'appartement du troisième, qui est à louer; elle veut nous voir avant de faire la demande.Madame Malingear. - Heureusement que le salon est fait.Emmeline. - Et le père, M. Ratinois, doit venir de son côté pour consulter papa.Madame Malingear. - Il est malade?Emmeline. - Mais non! Encore un prétexte pour faire sa connaissance... Ne le répète pas... à personne... c'est un secret.Madame Malingear. - Sois tranquille.Malingear, entrant. - Charmant garçon! plein de cœur!Madame Malingear, bas à son mari. - Malingear!Malingear. - Quoi?Madame Malingear, bas. - Ne le répète pas... c'est un secret... Madame Ratinois doit venir ce matin sous prétexte de causer de l'appartement à louer.Malingear. - Tiens!Madame Malingear. - Et son mari, pour te consulter...Malingear. - Alors, c'est un examen.Madame Malingear. - Ils désirent nous connaître avant d'aller plus loin... C'est bien naturel.Alexandrine, entrant. - Madame, il y a là une dame qui demande à parler au propriétaire pour l'appartement du troisième.Malingear, Madame Malingear, Emmeline. - C'est elle!Madame Malingear, vivement. - Attendez! (A Alexandrine.) Vite! mon bonnet à fleurs, mon bonnet de soirée.Alexandrine. - Tout de suite!Elle disparaît.Madame Malingear, à Emmeline. - Ote ce tablier... Mon Dieu, que tu es mal coiffée!... Je vais refaire tes boucles.Malingear, étonné, à part. - Qu'est-ce qui lui prend?Alexandrine, rentrant. - Voilà le bonnet.Madame Malingear, s'asseyant. - Posez-le moi! Vous voyez que je suis occupée. (Alexandrine dispose le bonnet sur la tête de sa maîtresse, pendant que celle-ci coiffe sa fille qui est à genoux. A Alexandrine.) Plus en arrière!... Malingear... une épingle!Emmeline. - Papa, une épingle!Madame Malingear. - Dépêche-toi donc!Malingear, l'apportant. - Voilà! (A part.) Qu'est-ce qu'elles ont?...Madame Malingear. - Là!... Faites entrer! (Alexandrine sort. Bas à son mari.) Surtout, ne me tutoie pas devant cette dame.Malingear. - Pourquoi?Madame Malingear. - C'est commun... c'est bourgeois! (A sa fille.) Toi, mets-toi au piano, la tête en arrière, et fais des roulades...Emmeline, au piano. - Des roulades?Madame Malingear. - Va donc.Emmeline fait des roulades; madame Malingear se pose sur un fauteuil, une broderie à la main.Scène VLes Mêmes, Madame Ratinois, AlexandrineMadame Malingear, à Emmeline. - Assez, mon enfant, voici une visite.Elle se lève.Madame Ratinois. - Je vous demande mille pardons; j'arrive bien mal à propos... Est-ce à M. le docteur Malingear que j'ai l'honneur de parler?...Malingear. - Oui, madame.Madame Ratinois. - Je viens de visiter l'appartement du troisième.Madame Malingear. - Veuillez donc prendre la peine de vous asseoir.Madame Ratinois, s'asseyant, ainsi que madame Malingear. - Trop bonne, madame... Je crains d'être importune... J'ai interrompu Mademoiselle!Emmeline. - Oh! madame...Madame Ratinois, à madame Malingear. - C'est mademoiselle votre fille?...Madame Malingear. - Oui, madame.Madame Ratinois, à part. - Frédéric a raison... elle est très bien! (Haut.) Je vois que Mademoiselle est musicienne.Madame Malingear. - Elève de Duprez.Malingear, à part, étonné. - Hein!...Madame Ratinois. - Ah!... Duprez est son professeur?...Madame Malingear. - Nous l'attendons.Malingear, à sa femme. - Qu'est-ce que tu chantes là?...Madame Malingear, vivement. - Un morceau de la Juive! (A madame Ratinois.) Mon mari demande à sa fille ce qu'elle chante... c'est un morceau de la Juive.Elle fait des signes à Malingear, qui s'assied à droite.Madame Ratinois, à part. - La maison est sur un grand pied! c'est bien mieux que chez nousMadame Malingear. - Moi, d'abord, j'ai pour principe de m'adresser aux premiers maîtres... Ainsi, quand Emmeline a commencé la peinture...Madame Ratinois, à Malingear. - Ah! Mademoiselle peint aussi?Malingear, embarrassé. - Oui... il paraît... Demandez à ma femme.Madame Malingear, montrant un tableau accroché au mur. - Comment trouvez-vous ce petit paysage?Madame Ratinois, se levant. - Une peinture à l'huile!Madame Malingear, se levant. - Elle s'est amusée à barbouiller ça.Malingear, à part. - Oh! par exemple, celle-là est trop forte!Emmeline, à part. - Quelle idée a donc maman?...Madame Ratinois, examinant le tableau. - C'est d'une vérité... d'une fraîcheur!... On dirait que c'est d'un peintre.Malingear, à part. - Je crois bien... c'est un Lambinet... Ca me coûte deux mille francs!Madame Ratinois, à part. - Très belle, très belle éducation! (Haut.) Et cet appartement... est-il libre?...Elle se rasseyent.Madame Malingear. - Il le sera pour le terme... M. Malingear doit le faire décorer... (A son mari.) N'est-ce pas votre intention, mon ami?Malingear. - Tu sais bien... (Se reprenant.) Vous savez bien que j'ai rendez-vous aujourd'hui avec l'architecte.Madame Malingear. - Je vous recommande le petit salon; il n'est pas présentable.Malingear. - Vous choisirez les tentures vous-même.Emmeline, étonnée, à part. - Vous!... Est-ce que papa et maman sont fâchés?Madame Ratinois. - Et quel serait le prix?...Malingear. - Quatre mille francs.Alexandrine, entrant, très étonnée. - Monsieur, on vous demande; c'est un clientMalingear, Madame Malingear, Emmeline, à part. - Le père!On se lève.Madame Malingear. - Un client! Qu'y a-t-il d'extraordinaire?...Alexandrine. - Dame!... c'est la première fois...Madame Malingear, vivement. - Que ce monsieur vient ici?... C'est bien! Qu'il prenne ce numéro. On ne peut le faire passer avant les personnes qui attendent... (Ecrivant sur un papier, au bureau.) Donnez-lui son tour... le numéro 16.Alexandrine sort.Malingear, à part. - A-t-elle de l'aplomb, ma femme!Madame Ratinois, à part. - Numéro 16! quelle clientèle!Madame Malingear. - Mon mari n'a pas une minute à lui... Le matin, il a son service à l'Hôtel-Dieu; il rentre à midi; il déjeune, presque toujours debout... Les consultations commencent, en voilà pour jusqu'à trois heures.Malingear. - Mais, ma chère amie...Madame Malingear. - Je vous dis que vous vous tuerez!... Après, viennent les visites aux quatre coins de Paris... Enfin, il rentre, le soir, brisé, harassé... Vous croyez qu'il se repose?... Du tout! Il travaille à son grand ouvrage, qui sera lu en séance publique à l'Académie de médecine. On l'attend!Malingear, protestant. - Mais, ma femme!...Madame Malingear, vivement. - Qu'on attende! Que diable! vous n'êtes pas aux ordres de ces messieurs! (Confidentiellement à madame Ratinois.) C'est un mémoire sur les affections thoraciques... Magnifique question!Malingear, à part. - Elle aurait dû épouser un dentiste.Madame Ratinois. - Quelle existence! (A Malingear.) Et vous ne prenez jamais de distractions?...Malingear. - Oh! ma femme exagère...Madame Malingear, lui coupant la parole. - Deux fois par semaine... l'hiver... nous offrons une tasse de thé à nos amis...Malingear, à part. - Bon! des soirées à présent!Madame Malingear. - Le mardi et le samedi... On fait de la musique... Nous recevons les principaux artistes de Paris... Mon mari leur donne des soins... gracieusement... vous comprenez?Madame Ratinois. - Comment! pour rien?...Madame Malingear. - Oh!... des artistes... Mais ces messieurs se font un plaisir... je dirai même un devoir... de fréquenter mon salon... Pour ça, ils sont très gentils! très gentils!Malingear, à part. - Et patati! et patata!...Madame Ratinois, à part. - Quel intérieur charmant!Madame Malingear. - J'espère bien, madame, si vous devenez notre locataire, que vous nous ferez l'honneur d'assister à nos petites soirées?Malingear, à part. - Elle l'invite!Madame Ratinois. - Comment donc, madame... vous êtes mille fois trop bonne! (A part.) C'est du très grand monde!Madame Malingear. - Vous partez, madame?Madame Ratinois. - Oui! Mais j'emporte l'espoir de revenir bientôt... Je serais bien heureuse, croyez-le, de nouer des relations plus suivies... plus intimes... avec une famille aussi distinguée... que respectable!Madame Malingear, saluant. - Madame... (Appelant.) Baptiste! Baptiste!...Malingear, à part. - Baptiste!... Où prend-elle Baptiste?Madame Malingear, à son mari. - Est-ce que vous avez envoyé le valet de chambre en course?..Malingear, ahuri. - Le valet de chambre... moi? non! (A part.) Nous n'avons jamais eu de domestique mâle!Madame Malingear. - Ces gens ne sont jamais là quand on a besoin d'eux! (Appelant.) Alexandrine! Alexandrine! (A madame Ratinois.) Je vous demande mille pardons, madame... (Alexandrine paraît.) Reconduisez Madame...Madame Ratinois, à part. - Quelle tenue de maison!... Mais voudront-ils de mon Frédéric?... (Haut.) Madame... monsieur... mademoiselle...Sortie cérémonieuse.Scène VIMalingear, Madame Malingear, Emmeline; puis AlexandrineMalingear. - Enfin, elle est partie!Il remonte.Emmeline. - Maman, expliquez-moi...Madame Malingear. - Maintenant, tu peux remettre ton tablier et aller disposer ton dessert... Va, mon enfant!Emmeline. - Oui, maman. (A part, en sortant.) Mais je n'ai jamais fait de peinture à l'huile!Elle sort.Malingear. - Ah çà! à nous deux!... Je n'ai pas de dessert à disposer, moi... et j'espère que tu vas m'expliquer...Madame Malingear. - Quoi donc?Malingear. - Eh bien, mais... tes gasconnades! Pourquoi aller dire à cette dame que Duprez est le professeur de ta fille... Nous ne le connaissons même pas!Madame Malingear. - Il fallait peut-être la dénoncer comme élève de M. Glumeau... de l'illustre M. Glumeau!Malingear. - Il n'est pas nécessaire de nommer son professeur... C'est comme ce tableau que tu attribues à Emmeline!Madame Malingear. - Eh bien?Malingear. - Mais c'est un Lambinet!Madame Malingear. - Il n'est pas signé.Malingear. - Ah! voilà une raison!... Et quand, au bout de deux mois de mariage, on dira à ta fille, qui n'a jamais tenu un pinceau: "Faites-nous donc ce joli paysage qu'on voit là-bas... avec des vaches..." qu'est-ce qu'elle répondra?Madame Malingear. - C'est bien simple. Règle générale, dès que les jeunes filles se marient, elles négligent les beaux-arts... Emmeline dira que les couleurs lui font mal aux nerfs, et elle renoncera à la peinture, voilà tout!Malingear. - Voilà tout!... Ah çà! et moi: mon grand ouvrage sur les affections thoraciques?Madame Malingear. - On dira qu'il est sous presse... et la première imprimerie qui brûlera...Malingear. - Et cette immense clientèle dont tu m'as gratifié?Madame Malingear. - J'ai eu tort... La première fois que cette dame nous fera visite, je rétablirai les choses dans leur vraie situation... "Madame, je vous présente M. le docteur Malingear, un fruit sec de la Faculté... Il ne soigne que des cochers gratis!... Mademoiselle Malingear... elle sait lire, écrire et compter. Madame Malingear... qui fait ses robes elle-même et raccommode, avec tendresse, les habits de son mari..."Malingear. - Il est inutile d'entrer dans ces détails, et plus inutile encore d'entasser tous ces mensonges... Veux-tu que je te le dise, c'est de l'orgueil! c'est de la vanité!... Tu veux jeter de la poudre aux yeux!Madame Malingear. - C'est vrai... j'en conviensMalingear. - Ah!Madame Malingear. - Mais, en cela, je ne fais que suivre l'exemple de mes contemporains... Chacun passe sa vie à jeter des petites pincées de poudre dans l'oeil de son voisin... Pourquoi fait-on de la toilette? Pour les yeux des autres!Malingear. - Allons donc!Madame Malingear. - Mais, toi-même... sans t'en douter... tu obéis à l'entraînement général.Malingear. - Moi?Madame Malingear. - Te souviens-tu de cette petite chaîne d'or fin qui attachait ta montre?Malingear. - Oui... Eh bien?Madame Malingear. - Elle était si petite... si petite... que tu en avais honte... Tu la cachais sous ton gilet.Malingear. - Pour ne pas la perdre.Madame Malingear. - Oh! non... pour ne pas la montrer!... Nous l'avons remplacée par une autre...énorme... La voici: tu la caresses... tu l'étales, tu en es fier...Malingear. - Quelle folie!Madame Malingear. - Mais tu te gardes bien de dire qu'elle est en imitation!Malingear, vivement. - Chut!... Tais-toi donc!Madame Malingear. - C'est de la poudre aux yeux! Je t'y prends comme les autres!... Eh bien, ta fille... c'est la petite chaîne d'or... bien simple, bien vraie, bien modeste... Aussi personne n'y fait attention... il y a si peu de bijoutiers dans le monde!... Laisse-moi l'orner d'un peu de clinquant, et aussitôt chacun l'admirera... (montrant la chaîne) comme ton câble Ruolz.Malingear, à part. - Il y a un fond de vérité dans ce qu'elle dit.Alexandrine, entrant. - Monsieur!Malingear. - Quoi?Alexandrine. - C'est ce monsieur... le numéro 16, qui s'impatiente...Malingear. - Ah! c'est vrai... nous l'avons oublié, ce pauvre homme! Faites-le entrer!...Madame Malingear, vivement. - Non, pas encore... il a le 16... (A Alexandrine.) Dites-lui que Monsieur tient le 14...Malingear. - Ah! tu crois que je tiens le 14!... (A Alexandrine.) Allons, dites-lui que je tiens le 14!...Alexandrine sort.Madame Malingear. - Donne-moi ta bourse...Malingear. - Ma bourse... Pourquoi?Il la lui donne.Madame Malingear, disposant des pièces d'or. - Dix louis dans ce plat... trois sur le bureau... et deux sur le piano!Malingear, étonné. - Qu'est-ce que tu fais là?Madame Malingear. - N'est-ce pas ainsi chez tous les médecins en réputation?...Malingear. - C'est vrai, c'est leur poudre!...Madame Malingear. - Maintenant, mets-toi à ton bureau... De l'importance, de la brusquerie... peu de paroles, tu es pressé!... Je te laisse... appelle le numéro 16... (Revenant.) Ah! n'oublie pas qu'il se porte bien... ne va pas te tromper!Malingear, assis à son bureau. - Sois donc tranquille!Madame Malingear sort par la droite. | |
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