La langue du LIRLONFATous les termes employés dans la chanson sont antérieurs au XIX ème siècle, ce que confirme le détail vestimentaire de la fontange, coiffure abandonnée après le XVIII ème siècle.
Pour information, voici la traduction complète et l'étymologie des mots d'argot : (21)
Coltigé, est un passif, issu d'un verbe attesté au XVIIIème ; étymologie : « colleter », resuffixé de manière intensive.
La raille, dans le vocabulaire des bandits d'Orgères est un nom collectif signifiant la police ; l'étymologie est « raillon », flèche de l'archer, déjà présent chez Villon. Le raille signifie un policier chez Vidocq.
Mes sique', pose un problème de recopie : il s'agit de mésigue, pronom accentué qui se décline à toutes les personnes ; dans le fac-similé, le mot est convenablement traduit (« moi ») ; mais les dictionnaires d'argot reprennent « siques » comme signifiant « hardes », et Hugo se prenant lui-même comme source, le cite comme tel dans Les Misérables (IV, 7, 2) où, avec une faute d'impression, elles deviennent « les fiques ».
La tartouve vient du provençal « tortis »; en 1527, la « tortouse » est la corde du pendu ( attesté dans le Mystère de Saint Christophe ) et au XVIII ème, ce sont les cordes qui lient les mains. Hugo actualise en « menottes ».
Grand Meudon est une métaphore spirituelle des argotiers, qui désignent ainsi au XVIIIème siècle le Grand Châtelet, à la fois prison et siège de la police du Grand Prévôt ; c'était en réalité la demeure d'agrément du Grand Dauphin . Par synecdoque, il s'agit, dans la chanson, de la police prévôtale ; ce que traduit insuffisamment le terme « mouchard » choisi par Hugo.
Est aboulé est attesté dans une ouvre anonyme, le Rat du Châtelet, en 1790. Il traduit métaphoriquement le fait de venir vers quelqu'un comme une boule qui suit sa pente. Le mot est vulgarisé par Vidocq.
Trimin reprend au XVIII ème siècle le vieux mot « trimar » datant du XVI ème siècle. Sa terminaison s'est faite par analogie avec « chemin » dont il est la traduction argotique ; son étymologie est la « trame » du tisserand, qui va et vient, en patois wallon.
Un peigre, dont l'étymologie est donnée par Hugo dans Les Misérables (IV,7,1) est attesté à la fin du XVIII avec son sens de voleur ; au XIX ème, il s'écrit « pègre ».
La largue est en largonji (22) la « marque », la femme, de même étymologie germanique que marquis, et que l'on trouve déjà chez Villon.
Enfouraillé renvoie au « four », pièce où le receleur entreposait les objets volés qui devient la métaphore de la prison. Le radical du verbe fonctionne encore librement, puisqu'on trouve plus loin « défourailler ».
Morfiller, mot attesté par les Bandits d'Orgères, au sens de « faire ».
Faire suer un chêne ne devient synonyme de « tuer un homme » que chez Vidocq ; étymologiquement, chêne vient de « chenu », homme d'un certain âge, mot de « gueux » attesté en 1598 ; et le « faire suer », c'est tout lui prendre. dans un premier temps.
Auberg est l'argent blanc monnayé (du latin « albus », blanc) ; le mot qui s'écrit « aubert » est attesté dans le vocabulaire des Coquillards. Sur le manuscrit, Hugo raye un h qui provient dans certaines graphies d'un faux rapprochement avec le haubert de l'armure.
Toquante vient du vocabulaire de Cartouche ; c'est une onomatopée pour la montre.
Les attaches de cés, sont les « boucles des souliers » traduit le fac-similé ; en fait, « cés » est la graphie du C des alchimistes qui désigne l'argent ; il a donc pris les boucles d'argent de sa victime.
Un babillard est un livre, une « babillarde », une lettre dans le vocabulaire de Cartouche. Hugo a raison de traduire, un placet.
Foncer est attesté au XVème siècle pour « donner » ; il s'écrit « fousser » chez la bande d'Orgères.
Entiffer ne signifie pas « attifer » comme l'écrit Hugo, mais « épouser », issu d'un mot très ancien « enticle », qui signifie « église » . Vidocq écrit à juste titre « entiflerai ».
Galuchés, pour « galonnés » est attesté par le vocabulaire de la bande d'Orgères.
Grand Dabe, Hugo le reprendra dans Les Misérables (IV,7), signifiie au XVIII siècle, le roi ; « dabe » vient de « dabot » qui dans l'argot du XVIème signifie, maître du logis.
Le caloquet, mot doublement suffixé par ses diminutifs, vient de « calle » que Chéreau désigne comme la « tête ». C'est le chapeau et non la couronne comme le traduit Vidocq ; le fac-simile met à la fois « chapeau » et « couronne ».
Le récit est criminel, comme le comprend le Condamné, mais il n'est pas sans humour. Le refrain, lui, porte l'essentiel de la tonalité pathétique. Il maintient en contrepoint de la narration violente un leitmotiv plaintif. Personne ne le traduit, considérant « lirlonfa » comme une simple interjection plus ou moins onomatopéique de chanson populaire, accompagnée d'adjectifs : maluré et malurette, facilement reconnaissables.
On peut néanmoins risquer deux hypothèses de traduction pour « lirlonfa » :
La première :
« loffard » au bagne, est le forçat condamné à perpétuité, « lofer » signifiant tourner la voile de l'autre côté du vent. Sur un modèle semblable à celui de virevolter, « virlofa » serait devenu « lirlonfa » ; 1ère personne du singulier d'un verbe au présent, de forme franco-provençale, « lirlonfa » signifierait alors : je change de cap, mon destin bascule. (23)
Deuxième hypothèses : « lirlonfa serait l'anagramme de « faridondaine » avec apocope de daine.(24)
Sur la signification de « faridondaine », il est intéressant de lire l'article du Dictionnaire Historique De La Langue Française, Paris, 1992, Le Robert.
En ce qui concerne les deux adjectifs qui suivent, « maluré » vient directement de l'Ancien français « maleuré » ; qui signifie rendu malheureux ; et la forme féminine « malurette » a un suffixe diminutif qui connote la faiblesse : c'est « petite » au sens figuré. Ces deux adjectifs créent une espèce de duo masculin/féminin où la femme est à égalité de malheur avec le forçat.
Les sources du LIRLONFA.La chanson du chapitre XVI est un intertexte ; car nous n'avons aucune raison de douter de ce que dit Vidocq en 1836, dans la Préface de son deuxième ouvrage Les Voleurs, de son appartenance à la tradition « poétique » de la pègre (25). Il retranscrit le lirlonfa avec d'autres chants en argot, mais avec une disposition strophique différente (26) et sans les erreurs de recopie ou de traduction de Hugo.
Par contre ce texte ne figure pas dans les Mémoires en 1828 ; on y trouve un autre chant très proche, La Mercandière, au refrain de « lonfa maluré dondaine », que Vidocq définit comme :
« .une de ces ballades à reprises qui sont aussi longues qu'un faubourg. », faites « dans le plus pur argot du bon temps ». (27)
Se pose alors la question de savoir quelles furent pour ce texte les sources de Hugo ?
La première possibilité est qu'ayant besoin d'une chanson, il l'ait recherchée dans les Mémoires de Vidocq et que trouvant La Mercandière trop longue ou trop gaie, il ait obtenu directement ou indirectement de celui-ci une copie de « C 'est dans la rue du Mail », gardée en réserve pour plus tard.
La deuxième possibilité est qu'une copie circulât, mais il est le seul à en rendre compte.
La troisième est qu'il ait entendu à Bicêtre les forçats la chanter pendant le ferrage. (28)
Ces deux dernières possibilités pouvant d'ailleurs se conjuguer.
Toujours est-il que Hugo travaille dans l'urgence ; l'étude du manuscrit révèle qu'il oublie de recopier les vers 3, 4, 5 et 6 de la dernière strophe, ce qui enlève toute signification à celle-ci ; alors même qu'il maintient le commentaire sur « cette Majesté qui s'indigne et menace le coupable de lui faire danser la danse où il n'y a pas de plancher ». (29)