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  Des savoirs aux compétences: les incidences sur le métier d'enseignant //Philippe Perrenoud

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مُساهمةموضوع: Des savoirs aux compétences: les incidences sur le métier d'enseignant //Philippe Perrenoud    Des savoirs aux compétences: les incidences sur le métier d'enseignant //Philippe Perrenoud I_icon_minitimeالجمعة 23 أغسطس 2013, 17:21

Des savoirs aux compétences: les incidences sur le métier d'enseignant //Philippe Perrenoud
L’approche par compétence amène le personnel enseignant à travailler sur des situations-problèmes dans le cadre d’une pédagogie du projet, en même temps qu’elle demande aux élèves d’être actifs et engagés dans leurs apprentissages.

L’enseignant

En travaillant par compétences dans le sens proposé ici, on transforme considérablement le métier d’enseignant. Voyons en quoi.

Travailler par situations-problèmes

On ne pousse un étudiant à construire des compétences qu’en le confrontant régulièrement, intensivement, à des situations-problèmes relativement complexes, qui mobilisent divers types de ressources cognitives. Sans doute est-il raisonnable de les travailler jusqu’à un certain point séparément, à la manière dont un athlète entraîne divers gestes isolés avant de les intégrer à une conduite globale. Il demeure qu’au bout du compte, leur intégration exigera des situations-problèmes complexes et réalistes (Meirieu, 1989).

Pourquoi ne pas parler tout simplement de problèmes ? Pour insister sur le fait que, pour être " réaliste ", un problème doit être en quelque sorte " enkysté " dans une situation pragmatique qui lui donne du sens. L’école a proposé à tant de générations d’élèves des problèmes tellement artificiels et décontextualisés (les fameuses histoires de trains ou de robinets) que le terme est usé. Le problème scolaire " à résoudre ", parce que tel est le métier d’élève, est très loin de ce qu’on appelle dans certaines facultés de médecine " l’apprentissage par problèmes ". La notion de situation rappelle par ailleurs la " révolution copernicienne " opérée par les pédagogies constructivistes et les didactiques des disciplines : le métier d’enseignant ne consiste plus aujourd’hui, si l’on suit ces courants de pensée, à enseigner, mais à faire apprendre. Or, pour faire apprendre, on ne peut que créer des situations favorables, accroître la probabilité d’un apprentissage quelconque et, dans le meilleur des cas, de l’apprentissage visé.

Une situation-problème n’est pas une situation didactique quelconque, car elle doit placer l’apprenant devant une série de décisions à prendre pour atteindre un objectif qu’il a lui-même choisi ou qu’on lui a proposé, voire assigné. Pragmatique ne signifie pas utilitariste : on peut se donner comme projet de comprendre l’origine de la vie autant que de lancer une fusée, d’inventer un scénario ou une machine à coudre.

Viser le développement de compétences, c’est donc " se creuser la tête " pour créer des situations-problèmes à la fois mobilisatrices et orientées vers des apprentissages spécifiques. Ce qui passe par une transposition didactique plus difficile, qui part des pratiques sociales de référence et non seulement des savoirs savants. On peut enseigner des savoirs biologiques ou chimiques sans avoir une expérience de la recherche et de l’expérimentation. On ne peut enseigner des compétences touchant à de tels domaines sans avoir une certaine familiarité avec les pratiques des chercheurs ou d’autres professionnels qui " manient " ces connaissances quotidiennement.

D’autres moyens d’enseignement

On ne peut attendre d’un professeur qu’il imagine et fabrique à lui seul, à jet continu, des situations-problèmes toutes plus passionnantes et pertinentes les unes que les autres. Il importe donc que les éditeurs ou les services de didactique mettent à sa disposition des idées de situations, des pistes méthodologiques et des matériaux adéquats. Cela existe en partie déjà, à la fois :

    parce que l’approche par compétences n’est pas entièrement nouvelle et que tous les mouvements d’école active ont proposé des activités complexes, par exemple la réalisation d’un journal chez Freinet ;

    parce que les exercices les plus intéressants et ouverts des manuels classiques peuvent être utilisés, voire détournés, dans le sens d’une approche par compétences.


Il reste indispensable que les grands producteurs de moyens d’enseignement réorientent leurs " gammes de produits " ; si un ministère de l’éducation veut promouvoir l’approche par compétences, il doit stimuler l’édition et l’informatique scolaires dans ce sens, et donner des garanties quant à la stabilité de sa politique. Il importe aussi que les enseignants les plus avancés et les chercheurs concernés soient associés à la conception des nouveaux moyens. Le pire serait de retrouver à la place des exercices scolaires traditionnels des situations-problèmes aussi stéréotypées, sorte de " prêt-à-enseigner " d’un genre nouveau, mais aussi artificielles et souvent dénuées de sens pour les élèves.

Des projets négociés avec des groupes d’acteurs

On ne peut imaginer que le professeur définisse seul les situations-problèmes. Sa tâche consiste certes à en proposer, mais en les négociant suffisamment pour qu’elles deviennent significatives et mobilisatrices pour beaucoup d’entre eux. Ce n’est pas une question d’éthique d’abord : la relation pédagogique est fondamentalement asymétrique, et le professeur n’est pas là pour répondre aux demandes des élèves. La négociation est simplement un détour nécessaire pour " embarquer " le plus grand nombre possible d’élèves dans des démarches de résolution de problèmes. Cela ne marchera, bien entendu, que si le pouvoir est réellement partagé avec les élèves.

L’approche par compétences rejoint donc les pédagogies du projet, ce qui appelle non seulement des modifications du contrat didactique, mais une gestion de classe plus ouverte. Elle rejoint aussi les pédagogies coopératives, qui tiennent sur l’interaction et l’interdépendance entre acteurs pour des facteurs favorables aux apprentissages de haut niveau.

Une planification souple

On ne peut enseigner par compétences en sachant en août ce qu’on traitera en décembre. Cela dépendra du niveau et de l’implication des élèves, des projets qui auront pris corps, de la dynamique du groupe-classe ou de sous-groupes. Cela dépendra surtout des événements précédents, car les situations-problèmes en engendrent d’autres. Il est certes possible et sans doute nécessaire de couper court à certaines suites et de repartir d’un tout autre point. Mais on ne peut se fermer à l’éventualité de construire toute l’année scolaire de proche en proche, une question en entraînant une autre, un projet qui s’achève suggérant une autre aventure.

Aventure 
? Le mot peut sembler trop fort, s’agissant d’une institution aussi bureaucratisée et obligatoire (socialement, sinon légalement) que l’école. C’est pourtant bien d’aventures intellectuelles qu’il est question, d’entreprises dont nul ne connaît d’avance l’issue, que nul, même pas le professeur, n’a jamais vécu exactement dans les mêmes termes.

Un autre contrat didactique

Dans une pédagogie centrées sur les savoirs, le contrat de l’élève est d’écouter, de tenter de comprendre, de faire consciencieusement ses exercices et de restituer ses acquis dans le cadre de tests de connaissance papier-crayon, le plus souvent individuels et notés.

Dans une pédagogie des situations-problèmes, le rôle de l’élève est de s’impliquer, de participer à un effort collectif pour réaliser un projet et construire, par la même occasion, de nouvelles compétences. Il a droit aux essais et aux erreurs. Il est invité à faire part de ses doutes, à expliciter ses raisonnements, à prendre conscience de ses façons de comprendre, de mémoriser, de communiquer. On lui demande en quelque sorte, dans le cadre de son métier d’élève, de devenir un praticien réflexif (Schön, 1983,1987, 1991). On l’invite à un exercice constant de métacognition et de métacommunication. Un tel contrat exige davantage de cohérence et de continuité d’une classe à la suivante et un effort incessant d’explicitation et d’ajustement des règles du jeu. Il passe aussi par une rupture avec la compétition et l’individualisme. Ce qui renvoie à l’image de la coopération entre adultes et au contraste possible entre la culture professionnelle individualiste des enseignants et l’invitation faite aux élèves de travailler ensemble…

Une évaluation différente

Cette transformation du contrat didactique suggère déjà que l’évaluation formative s’intègre presque " naturellement " à la gestion collective des situations-problèmes. La source du feed-back varie : c’est parfois le professeur ou un autre élève, mais c’est souvent la réalité elle-même qui résiste et dément les pronostics. L’engagement dans un projet conduit inévitablement à travailler sur des objectifs-obstacles, de préférence de façon différenciée, parce que tous les élèves ne sont pas confrontés aux mêmes tâches, parce que tous ne rencontrent pas les mêmes obstacles.

Quant à l’évaluation certificative, elle doit inévitablement s’exercer dans le cadre de situations-problèmes de même structure que celles qui s’incarnent dans les situations d’enseignement-apprentissage. Dans la mesure où les formes d’évaluation certificatives influencent considérablement le travail scolaire quotidien et les stratégies des élèves, il est clair qu’une évaluation centrée sur des connaissances décontextualisées ruinerait toute approche par compétences. Jacques Tardif (1992) a montré que c’est l’un des points faibles même dans certaines formations professionnelles de haut niveau (médecins, ingénieurs). Les seuls " examens de compétences " qui vaillent n’ont guère de rapport un ensemble d’étudiants peinant simultanément, mais chacun pour soi, sur une tâche papier-crayon standardisée, optimisée pour faciliter les corrections et la notation. Une évaluation à travers des situations-problèmes ne peut être que l’observation individualisée d’une conduite complexe, orientée par un projet.

Un moindre cloisonnement disciplinaire

Il est rare de trouver une situation-problème qui alimente un seul apprentissage. Et presque aussi rare que les apprentissages concernés relèvent d’une seule discipline. Cela ne conduit pas à condamner les élèves une tiède soupe interdisciplinaire, servie par des moniteurs de colonies de vacances ou autres " gentils organisateurs ". Il faut un ou plusieurs ancrages disciplinaires et une forte réflexion épistémologique pour conduire des projets d’action sans s’écarter du projet de formation qui donne son sens à l’école. L’obstacle n’est pas dans les disciplines, mais dans l’usage paresseux des disciplines, sans réflexion sur la matrice de la discipline (Develay, 1992) ou son histoire, sans travail non plus sur les frontières entre disciplines et leur arbitraire ou sur les mécanismes communs que cherchait à identifier Piaget. Un cloisonnement disciplinaire moins rigide exige, paradoxalement, du moins au secondaire, une formation disciplinaire et épistémologique plus pointue des professeurs.

Des savoirs reconstruits au gré des besoins

Une approche par compétences change la place des savoirs dans l’enseignement. Plutôt que d’occuper tout le terrain, ils deviennent des ressources pour résoudre des problèmes. Mais, dira-t-on, ne faut-il pas anticiper, donc proposer aux élèves de progresser de façon organisée dans le " texte du savoir " ? N’est-ce pas la seule voie d’accès à des savoirs cohérents et complets ? Les professeurs habitués à une approche disciplinaire n’imaginent pas, en effet, pouvoir " transmettre leur matière " à propos d’un problème, alors que toute leur " tradition pédagogique " les conduit à autonomiser l’exposé des savoirs et à concevoir les situations de mise en œuvre comme de simples exercices de compréhension ou de mémorisation de savoirs décontextualisés.

On touche là à une forme de " révolution culturelle ". Pour qu’une situation-problème crée le besoin de savoir et le besoin de savoirs, il faut évidemment la concevoir autrement que comme un exercice scolaire classique. C’est ainsi que les facultés de médecine ayant opté pour l’apprentissage par problèmes ont pratiquement renoncé aux cours ex cathedra. Dès la première année, le cursus confronte les étudiants à des problèmes cliniques complexes, qui les obligent à aller chercher des informations et des savoirs. La tâche des professeurs n’est pas alors d’improviser un cours. Elle porte sur la régulation du processus et, en amont, sur la construction de problèmes de complexité croissante. Là est l’investissement majeur : on voit bien qu’il renvoie à une autre épistémologie et à une autre représentation de la construction des savoirs dans l’esprit humain. Aujourd’hui, malgré plus d’un siècle de mouvements d’école nouvelle et de pédagogies actives, malgré plusieurs décennies d’approches constructivistes, interactionnistes et systémiques en sciences de l’éducation, les modèles transmissifs et associationnistes conservent leur légitimité et tiennent encore, ici ou là, le haut du pavé

L’approche par compétence amène le personnel enseignant à travailler sur des situations-problèmes dans le cadre d’une pédagogie du projet, en même temps qu’elle demande aux élèves d’être actifs et engagés dans leurs apprentissages.

L’enseignant

En travaillant par compétences dans le sens proposé ici, on transforme considérablement le métier d’enseignant. Voyons en quoi.

Travailler par situations-problèmes

On ne pousse un étudiant à construire des compétences qu’en le confrontant régulièrement, intensivement, à des situations-problèmes relativement complexes, qui mobilisent divers types de ressources cognitives. Sans doute est-il raisonnable de les travailler jusqu’à un certain point séparément, à la manière dont un athlète entraîne divers gestes isolés avant de les intégrer à une conduite globale. Il demeure qu’au bout du compte, leur intégration exigera des situations-problèmes complexes et réalistes (Meirieu, 1989).

Pourquoi ne pas parler tout simplement de problèmes ? Pour insister sur le fait que, pour être " réaliste ", un problème doit être en quelque sorte " enkysté " dans une situation pragmatique qui lui donne du sens. L’école a proposé à tant de générations d’élèves des problèmes tellement artificiels et décontextualisés (les fameuses histoires de trains ou de robinets) que le terme est usé. Le problème scolaire " à résoudre ", parce que tel est le métier d’élève, est très loin de ce qu’on appelle dans certaines facultés de médecine " l’apprentissage par problèmes ". La notion de situation rappelle par ailleurs la " révolution copernicienne " opérée par les pédagogies constructivistes et les didactiques des disciplines : le métier d’enseignant ne consiste plus aujourd’hui, si l’on suit ces courants de pensée, à enseigner, mais à faire apprendre. Or, pour faire apprendre, on ne peut que créer des situations favorables, accroître la probabilité d’un apprentissage quelconque et, dans le meilleur des cas, de l’apprentissage visé.

Une situation-problème n’est pas une situation didactique quelconque, car elle doit placer l’apprenant devant une série de décisions à prendre pour atteindre un objectif qu’il a lui-même choisi ou qu’on lui a proposé, voire assigné. Pragmatique ne signifie pas utilitariste : on peut se donner comme projet de comprendre l’origine de la vie autant que de lancer une fusée, d’inventer un scénario ou une machine à coudre.

Viser le développement de compétences, c’est donc " se creuser la tête " pour créer des situations-problèmes à la fois mobilisatrices et orientées vers des apprentissages spécifiques. Ce qui passe par une transposition didactique plus difficile, qui part des pratiques sociales de référence et non seulement des savoirs savants. On peut enseigner des savoirs biologiques ou chimiques sans avoir une expérience de la recherche et de l’expérimentation. On ne peut enseigner des compétences touchant à de tels domaines sans avoir une certaine familiarité avec les pratiques des chercheurs ou d’autres professionnels qui " manient " ces connaissances quotidiennement.

D’autres moyens d’enseignement

On ne peut attendre d’un professeur qu’il imagine et fabrique à lui seul, à jet continu, des situations-problèmes toutes plus passionnantes et pertinentes les unes que les autres. Il importe donc que les éditeurs ou les services de didactique mettent à sa disposition des idées de situations, des pistes méthodologiques et des matériaux adéquats. Cela existe en partie déjà, à la fois :

    parce que l’approche par compétences n’est pas entièrement nouvelle et que tous les mouvements d’école active ont proposé des activités complexes, par exemple la réalisation d’un journal chez Freinet ;

    parce que les exercices les plus intéressants et ouverts des manuels classiques peuvent être utilisés, voire détournés, dans le sens d’une approche par compétences.


Il reste indispensable que les grands producteurs de moyens d’enseignement réorientent leurs " gammes de produits " ; si un ministère de l’éducation veut promouvoir l’approche par compétences, il doit stimuler l’édition et l’informatique scolaires dans ce sens, et donner des garanties quant à la stabilité de sa politique. Il importe aussi que les enseignants les plus avancés et les chercheurs concernés soient associés à la conception des nouveaux moyens. Le pire serait de retrouver à la place des exercices scolaires traditionnels des situations-problèmes aussi stéréotypées, sorte de " prêt-à-enseigner " d’un genre nouveau, mais aussi artificielles et souvent dénuées de sens pour les élèves.

Des projets négociés avec des groupes d’acteurs

On ne peut imaginer que le professeur définisse seul les situations-problèmes. Sa tâche consiste certes à en proposer, mais en les négociant suffisamment pour qu’elles deviennent significatives et mobilisatrices pour beaucoup d’entre eux. Ce n’est pas une question d’éthique d’abord : la relation pédagogique est fondamentalement asymétrique, et le professeur n’est pas là pour répondre aux demandes des élèves. La négociation est simplement un détour nécessaire pour " embarquer " le plus grand nombre possible d’élèves dans des démarches de résolution de problèmes. Cela ne marchera, bien entendu, que si le pouvoir est réellement partagé avec les élèves.

L’approche par compétences rejoint donc les pédagogies du projet, ce qui appelle non seulement des modifications du contrat didactique, mais une gestion de classe plus ouverte. Elle rejoint aussi les pédagogies coopératives, qui tiennent sur l’interaction et l’interdépendance entre acteurs pour des facteurs favorables aux apprentissages de haut niveau.

Une planification souple

On ne peut enseigner par compétences en sachant en août ce qu’on traitera en décembre. Cela dépendra du niveau et de l’implication des élèves, des projets qui auront pris corps, de la dynamique du groupe-classe ou de sous-groupes. Cela dépendra surtout des événements précédents, car les situations-problèmes en engendrent d’autres. Il est certes possible et sans doute nécessaire de couper court à certaines suites et de repartir d’un tout autre point. Mais on ne peut se fermer à l’éventualité de construire toute l’année scolaire de proche en proche, une question en entraînant une autre, un projet qui s’achève suggérant une autre aventure.

Aventure 
? Le mot peut sembler trop fort, s’agissant d’une institution aussi bureaucratisée et obligatoire (socialement, sinon légalement) que l’école. C’est pourtant bien d’aventures intellectuelles qu’il est question, d’entreprises dont nul ne connaît d’avance l’issue, que nul, même pas le professeur, n’a jamais vécu exactement dans les mêmes termes.

Un autre contrat didactique

Dans une pédagogie centrées sur les savoirs, le contrat de l’élève est d’écouter, de tenter de comprendre, de faire consciencieusement ses exercices et de restituer ses acquis dans le cadre de tests de connaissance papier-crayon, le plus souvent individuels et notés.

Dans une pédagogie des situations-problèmes, le rôle de l’élève est de s’impliquer, de participer à un effort collectif pour réaliser un projet et construire, par la même occasion, de nouvelles compétences. Il a droit aux essais et aux erreurs. Il est invité à faire part de ses doutes, à expliciter ses raisonnements, à prendre conscience de ses façons de comprendre, de mémoriser, de communiquer. On lui demande en quelque sorte, dans le cadre de son métier d’élève, de devenir un praticien réflexif (Schön, 1983,1987, 1991). On l’invite à un exercice constant de métacognition et de métacommunication. Un tel contrat exige davantage de cohérence et de continuité d’une classe à la suivante et un effort incessant d’explicitation et d’ajustement des règles du jeu. Il passe aussi par une rupture avec la compétition et l’individualisme. Ce qui renvoie à l’image de la coopération entre adultes et au contraste possible entre la culture professionnelle individualiste des enseignants et l’invitation faite aux élèves de travailler ensemble…

Une évaluation différente

Cette transformation du contrat didactique suggère déjà que l’évaluation formative s’intègre presque " naturellement " à la gestion collective des situations-problèmes. La source du feed-back varie : c’est parfois le professeur ou un autre élève, mais c’est souvent la réalité elle-même qui résiste et dément les pronostics. L’engagement dans un projet conduit inévitablement à travailler sur des objectifs-obstacles, de préférence de façon différenciée, parce que tous les élèves ne sont pas confrontés aux mêmes tâches, parce que tous ne rencontrent pas les mêmes obstacles.

Quant à l’évaluation certificative, elle doit inévitablement s’exercer dans le cadre de situations-problèmes de même structure que celles qui s’incarnent dans les situations d’enseignement-apprentissage. Dans la mesure où les formes d’évaluation certificatives influencent considérablement le travail scolaire quotidien et les stratégies des élèves, il est clair qu’une évaluation centrée sur des connaissances décontextualisées ruinerait toute approche par compétences. Jacques Tardif (1992) a montré que c’est l’un des points faibles même dans certaines formations professionnelles de haut niveau (médecins, ingénieurs). Les seuls " examens de compétences " qui vaillent n’ont guère de rapport un ensemble d’étudiants peinant simultanément, mais chacun pour soi, sur une tâche papier-crayon standardisée, optimisée pour faciliter les corrections et la notation. Une évaluation à travers des situations-problèmes ne peut être que l’observation individualisée d’une conduite complexe, orientée par un projet.

Un moindre cloisonnement disciplinaire

Il est rare de trouver une situation-problème qui alimente un seul apprentissage. Et presque aussi rare que les apprentissages concernés relèvent d’une seule discipline. Cela ne conduit pas à condamner les élèves une tiède soupe interdisciplinaire, servie par des moniteurs de colonies de vacances ou autres " gentils organisateurs ". Il faut un ou plusieurs ancrages disciplinaires et une forte réflexion épistémologique pour conduire des projets d’action sans s’écarter du projet de formation qui donne son sens à l’école. L’obstacle n’est pas dans les disciplines, mais dans l’usage paresseux des disciplines, sans réflexion sur la matrice de la discipline (Develay, 1992) ou son histoire, sans travail non plus sur les frontières entre disciplines et leur arbitraire ou sur les mécanismes communs que cherchait à identifier Piaget. Un cloisonnement disciplinaire moins rigide exige, paradoxalement, du moins au secondaire, une formation disciplinaire et épistémologique plus pointue des professeurs.

Des savoirs reconstruits au gré des besoins

Une approche par compétences change la place des savoirs dans l’enseignement. Plutôt que d’occuper tout le terrain, ils deviennent des ressources pour résoudre des problèmes. Mais, dira-t-on, ne faut-il pas anticiper, donc proposer aux élèves de progresser de façon organisée dans le " texte du savoir " ? N’est-ce pas la seule voie d’accès à des savoirs cohérents et complets ? Les professeurs habitués à une approche disciplinaire n’imaginent pas, en effet, pouvoir " transmettre leur matière " à propos d’un problème, alors que toute leur " tradition pédagogique " les conduit à autonomiser l’exposé des savoirs et à concevoir les situations de mise en œuvre comme de simples exercices de compréhension ou de mémorisation de savoirs décontextualisés.

On touche là à une forme de " révolution culturelle ". Pour qu’une situation-problème crée le besoin de savoir et le besoin de savoirs, il faut évidemment la concevoir autrement que comme un exercice scolaire classique. C’est ainsi que les facultés de médecine ayant opté pour l’apprentissage par problèmes ont pratiquement renoncé aux cours ex cathedra. Dès la première année, le cursus confronte les étudiants à des problèmes cliniques complexes, qui les obligent à aller chercher des informations et des savoirs. La tâche des professeurs n’est pas alors d’improviser un cours. Elle porte sur la régulation du processus et, en amont, sur la construction de problèmes de complexité croissante. Là est l’investissement majeur : on voit bien qu’il renvoie à une autre épistémologie et à une autre représentation de la construction des savoirs dans l’esprit humain. Aujourd’hui, malgré plus d’un siècle de mouvements d’école nouvelle et de pédagogies actives, malgré plusieurs décennies d’approches constructivistes, interactionnistes et systémiques en sciences de l’éducation, les modèles transmissifs et associationnistes conservent leur légitimité et tiennent encore, ici ou là, le haut du pavé

L’approche par compétence amène le personnel enseignant à travailler sur des situations-problèmes dans le cadre d’une pédagogie du projet, en même temps qu’elle demande aux élèves d’être actifs et engagés dans leurs apprentissages.

L’enseignant

En travaillant par compétences dans le sens proposé ici, on transforme considérablement le métier d’enseignant. Voyons en quoi.

Travailler par situations-problèmes

On ne pousse un étudiant à construire des compétences qu’en le confrontant régulièrement, intensivement, à des situations-problèmes relativement complexes, qui mobilisent divers types de ressources cognitives. Sans doute est-il raisonnable de les travailler jusqu’à un certain point séparément, à la manière dont un athlète entraîne divers gestes isolés avant de les intégrer à une conduite globale. Il demeure qu’au bout du compte, leur intégration exigera des situations-problèmes complexes et réalistes (Meirieu, 1989).

Pourquoi ne pas parler tout simplement de problèmes ? Pour insister sur le fait que, pour être " réaliste ", un problème doit être en quelque sorte " enkysté " dans une situation pragmatique qui lui donne du sens. L’école a proposé à tant de générations d’élèves des problèmes tellement artificiels et décontextualisés (les fameuses histoires de trains ou de robinets) que le terme est usé. Le problème scolaire " à résoudre ", parce que tel est le métier d’élève, est très loin de ce qu’on appelle dans certaines facultés de médecine " l’apprentissage par problèmes ". La notion de situation rappelle par ailleurs la " révolution copernicienne " opérée par les pédagogies constructivistes et les didactiques des disciplines : le métier d’enseignant ne consiste plus aujourd’hui, si l’on suit ces courants de pensée, à enseigner, mais à faire apprendre. Or, pour faire apprendre, on ne peut que créer des situations favorables, accroître la probabilité d’un apprentissage quelconque et, dans le meilleur des cas, de l’apprentissage visé.

Une situation-problème n’est pas une situation didactique quelconque, car elle doit placer l’apprenant devant une série de décisions à prendre pour atteindre un objectif qu’il a lui-même choisi ou qu’on lui a proposé, voire assigné. Pragmatique ne signifie pas utilitariste : on peut se donner comme projet de comprendre l’origine de la vie autant que de lancer une fusée, d’inventer un scénario ou une machine à coudre.

Viser le développement de compétences, c’est donc " se creuser la tête " pour créer des situations-problèmes à la fois mobilisatrices et orientées vers des apprentissages spécifiques. Ce qui passe par une transposition didactique plus difficile, qui part des pratiques sociales de référence et non seulement des savoirs savants. On peut enseigner des savoirs biologiques ou chimiques sans avoir une expérience de la recherche et de l’expérimentation. On ne peut enseigner des compétences touchant à de tels domaines sans avoir une certaine familiarité avec les pratiques des chercheurs ou d’autres professionnels qui " manient " ces connaissances quotidiennement.

D’autres moyens d’enseignement

On ne peut attendre d’un professeur qu’il imagine et fabrique à lui seul, à jet continu, des situations-problèmes toutes plus passionnantes et pertinentes les unes que les autres. Il importe donc que les éditeurs ou les services de didactique mettent à sa disposition des idées de situations, des pistes méthodologiques et des matériaux adéquats. Cela existe en partie déjà, à la fois :

    parce que l’approche par compétences n’est pas entièrement nouvelle et que tous les mouvements d’école active ont proposé des activités complexes, par exemple la réalisation d’un journal chez Freinet ;

    parce que les exercices les plus intéressants et ouverts des manuels classiques peuvent être utilisés, voire détournés, dans le sens d’une approche par compétences.


Il reste indispensable que les grands producteurs de moyens d’enseignement réorientent leurs " gammes de produits " ; si un ministère de l’éducation veut promouvoir l’approche par compétences, il doit stimuler l’édition et l’informatique scolaires dans ce sens, et donner des garanties quant à la stabilité de sa politique. Il importe aussi que les enseignants les plus avancés et les chercheurs concernés soient associés à la conception des nouveaux moyens. Le pire serait de retrouver à la place des exercices scolaires traditionnels des situations-problèmes aussi stéréotypées, sorte de " prêt-à-enseigner " d’un genre nouveau, mais aussi artificielles et souvent dénuées de sens pour les élèves.

Des projets négociés avec des groupes d’acteurs

On ne peut imaginer que le professeur définisse seul les situations-problèmes. Sa tâche consiste certes à en proposer, mais en les négociant suffisamment pour qu’elles deviennent significatives et mobilisatrices pour beaucoup d’entre eux. Ce n’est pas une question d’éthique d’abord : la relation pédagogique est fondamentalement asymétrique, et le professeur n’est pas là pour répondre aux demandes des élèves. La négociation est simplement un détour nécessaire pour " embarquer " le plus grand nombre possible d’élèves dans des démarches de résolution de problèmes. Cela ne marchera, bien entendu, que si le pouvoir est réellement partagé avec les élèves.

L’approche par compétences rejoint donc les pédagogies du projet, ce qui appelle non seulement des modifications du contrat didactique, mais une gestion de classe plus ouverte. Elle rejoint aussi les pédagogies coopératives, qui tiennent sur l’interaction et l’interdépendance entre acteurs pour des facteurs favorables aux apprentissages de haut niveau.

Une planification souple

On ne peut enseigner par compétences en sachant en août ce qu’on traitera en décembre. Cela dépendra du niveau et de l’implication des élèves, des projets qui auront pris corps, de la dynamique du groupe-classe ou de sous-groupes. Cela dépendra surtout des événements précédents, car les situations-problèmes en engendrent d’autres. Il est certes possible et sans doute nécessaire de couper court à certaines suites et de repartir d’un tout autre point. Mais on ne peut se fermer à l’éventualité de construire toute l’année scolaire de proche en proche, une question en entraînant une autre, un projet qui s’achève suggérant une autre aventure.

Aventure 
? Le mot peut sembler trop fort, s’agissant d’une institution aussi bureaucratisée et obligatoire (socialement, sinon légalement) que l’école. C’est pourtant bien d’aventures intellectuelles qu’il est question, d’entreprises dont nul ne connaît d’avance l’issue, que nul, même pas le professeur, n’a jamais vécu exactement dans les mêmes termes.

Un autre contrat didactique

Dans une pédagogie centrées sur les savoirs, le contrat de l’élève est d’écouter, de tenter de comprendre, de faire consciencieusement ses exercices et de restituer ses acquis dans le cadre de tests de connaissance papier-crayon, le plus souvent individuels et notés.

Dans une pédagogie des situations-problèmes, le rôle de l’élève est de s’impliquer, de participer à un effort collectif pour réaliser un projet et construire, par la même occasion, de nouvelles compétences. Il a droit aux essais et aux erreurs. Il est invité à faire part de ses doutes, à expliciter ses raisonnements, à prendre conscience de ses façons de comprendre, de mémoriser, de communiquer. On lui demande en quelque sorte, dans le cadre de son métier d’élève, de devenir un praticien réflexif (Schön, 1983,1987, 1991). On l’invite à un exercice constant de métacognition et de métacommunication. Un tel contrat exige davantage de cohérence et de continuité d’une classe à la suivante et un effort incessant d’explicitation et d’ajustement des règles du jeu. Il passe aussi par une rupture avec la compétition et l’individualisme. Ce qui renvoie à l’image de la coopération entre adultes et au contraste possible entre la culture professionnelle individualiste des enseignants et l’invitation faite aux élèves de travailler ensemble…

Une évaluation différente

Cette transformation du contrat didactique suggère déjà que l’évaluation formative s’intègre presque " naturellement " à la gestion collective des situations-problèmes. La source du feed-back varie : c’est parfois le professeur ou un autre élève, mais c’est souvent la réalité elle-même qui résiste et dément les pronostics. L’engagement dans un projet conduit inévitablement à travailler sur des objectifs-obstacles, de préférence de façon différenciée, parce que tous les élèves ne sont pas confrontés aux mêmes tâches, parce que tous ne rencontrent pas les mêmes obstacles.

Quant à l’évaluation certificative, elle doit inévitablement s’exercer dans le cadre de situations-problèmes de même structure que celles qui s’incarnent dans les situations d’enseignement-apprentissage. Dans la mesure où les formes d’évaluation certificatives influencent considérablement le travail scolaire quotidien et les stratégies des élèves, il est clair qu’une évaluation centrée sur des connaissances décontextualisées ruinerait toute approche par compétences. Jacques Tardif (1992) a montré que c’est l’un des points faibles même dans certaines formations professionnelles de haut niveau (médecins, ingénieurs). Les seuls " examens de compétences " qui vaillent n’ont guère de rapport un ensemble d’étudiants peinant simultanément, mais chacun pour soi, sur une tâche papier-crayon standardisée, optimisée pour faciliter les corrections et la notation. Une évaluation à travers des situations-problèmes ne peut être que l’observation individualisée d’une conduite complexe, orientée par un projet.

Un moindre cloisonnement disciplinaire

Il est rare de trouver une situation-problème qui alimente un seul apprentissage. Et presque aussi rare que les apprentissages concernés relèvent d’une seule discipline. Cela ne conduit pas à condamner les élèves une tiède soupe interdisciplinaire, servie par des moniteurs de colonies de vacances ou autres " gentils organisateurs ". Il faut un ou plusieurs ancrages disciplinaires et une forte réflexion épistémologique pour conduire des projets d’action sans s’écarter du projet de formation qui donne son sens à l’école. L’obstacle n’est pas dans les disciplines, mais dans l’usage paresseux des disciplines, sans réflexion sur la matrice de la discipline (Develay, 1992) ou son histoire, sans travail non plus sur les frontières entre disciplines et leur arbitraire ou sur les mécanismes communs que cherchait à identifier Piaget. Un cloisonnement disciplinaire moins rigide exige, paradoxalement, du moins au secondaire, une formation disciplinaire et épistémologique plus pointue des professeurs.

Des savoirs reconstruits au gré des besoins

Une approche par compétences change la place des savoirs dans l’enseignement. Plutôt que d’occuper tout le terrain, ils deviennent des ressources pour résoudre des problèmes. Mais, dira-t-on, ne faut-il pas anticiper, donc proposer aux élèves de progresser de façon organisée dans le " texte du savoir " ? N’est-ce pas la seule voie d’accès à des savoirs cohérents et complets ? Les professeurs habitués à une approche disciplinaire n’imaginent pas, en effet, pouvoir " transmettre leur matière " à propos d’un problème, alors que toute leur " tradition pédagogique " les conduit à autonomiser l’exposé des savoirs et à concevoir les situations de mise en œuvre comme de simples exercices de compréhension ou de mémorisation de savoirs décontextualisés.

On touche là à une forme de " révolution culturelle ". Pour qu’une situation-problème crée le besoin de savoir et le besoin de savoirs, il faut évidemment la concevoir autrement que comme un exercice scolaire classique. C’est ainsi que les facultés de médecine ayant opté pour l’apprentissage par problèmes ont pratiquement renoncé aux cours ex cathedra. Dès la première année, le cursus confronte les étudiants à des problèmes cliniques complexes, qui les obligent à aller chercher des informations et des savoirs. La tâche des professeurs n’est pas alors d’improviser un cours. Elle porte sur la régulation du processus et, en amont, sur la construction de problèmes de complexité croissante. Là est l’investissement majeur : on voit bien qu’il renvoie à une autre épistémologie et à une autre représentation de la construction des savoirs dans l’esprit humain. Aujourd’hui, malgré plus d’un siècle de mouvements d’école nouvelle et de pédagogies actives, malgré plusieurs décennies d’approches constructivistes, interactionnistes et systémiques en sciences de l’éducation, les modèles transmissifs et associationnistes conservent leur légitimité et tiennent encore, ici ou là, le haut du pavé
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