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journal intime (homonymie).
Un
journal intime (ou
personnel) est un texte rédigé de
façon régulière ou intermittente, présentant les actions, les
réflexions ou les sentiments de l’auteur. Ses entrées sont
habituellement datées. Il peut être tenu de façon plus ou moins
régulière au long d’une existence ou seulement sur une période
particulière : maladie, guerre, deuil, problèmes familiaux... Comme
pratique ordinaire, il est en général destiné à être gardé secret,
temporairement ou définitivement. Comme pratique littéraire, il est
souvent destiné, à plus ou moins court terme, à une publication
partielle ou totale.
DéfinitionPour désigner l'auteur d'un journal intime, Michèle Leleu
1 a proposé en 1952 le terme « diariste », à la fois emprunté à l'anglais
diarist et reformé sur le vieux mot français « diaire » qui était utilisé comme nom (au sens de « livre de raison ») au XVI
e siècle, et comme adjectif jusqu’au XIX
e.
Le journal se caractérise par le fait que le diariste se place en
retrait des autres, séparé de la société et même de ses proches. La
position typique est celle de Maine de Biran le 25 décembre 1794 : « Je
suis seul, près de mon feu, retenu dans ma chambre par un froid très
piquant survenu dans la nuit […]. Puisque je n'ai rien de mieux à faire,
que je suis incapable en ce moment de me livrer à aucune étude suivie,
il faut que je m'amuse à réfléchir sur ma position actuelle, sur l'état
de mon cœur, dans cette époque de ma vie… » Certains diaristes, comme
Benjamin Constant, vont jusqu’à le rédiger dans une graphie cryptée pour
que les lecteurs éventuels ne puissent pas le déchiffrer. L’enjeu de ce
retrait est la liberté d’écriture que s’octroie le diariste : il est
possible de tout dire dans le secret du journal puisque ce qui est écrit
n’est pas,
a priori, destiné à une communication sociale.
Tous les sujets se retrouvent donc dans les journaux : les spectacles
de la nature, les comportements des hommes en société, les événements
du quotidien, la situation matérielle du diariste, et surtout ses
mouvements intérieurs : les sentiments qu’il éprouve pour autrui, les
interrogations identitaires et existentielles qui sont les siennes, les
admonestations à modifier son comportement qu’il se fait à lui-même… Le
diariste se prend lui-même comme objet d’observation, d’enregistrement,
d’analyse et de jugement. De ce fait, l’interrogation sur son identité,
sur l’existence et sur la mort est souvent en arrière-plan du discours
intime. Le diariste se demande, pour reprendre le titre d’un des volumes
de journal de Julien Green, « Pourquoi suis-je moi ? », ou comme Amiel
encore : « Je ne sais vraiment plus pourquoi je vis » (3.12.1866). Mais
il ne faudrait pas en déduire que le journal n’est qu’un ressassement
mélancolique, d’une part parce qu’il comporte évidemment de nombreux
récits de moments heureux ou poétiques, d’autre part parce qu’il tend
aussi à transcrire « la musique intérieure des choses, ce qui a résonné
sur le timbre mystérieux de l’âme ou dansé dans l’intelligence » (Amiel,
30.10.1852).
Le journal est rédigé de façon intermittente et sans intention autre
que celle de rendre compte du temps écoulé depuis la notation
précédente, ou de rapporter des réflexions au présent. En cela, le
journal se différencie de l’autobiographie qui est organisée par un
projet d’écriture de soi rétrospective et a pour objectif de narrer son
existence de façon continue avec une visée totalisante. Le journal tient
en quelque sorte la comptabilité des jours qui passent. La date qui
ouvre chaque
entrée (c'est-à-dire le texte d'un jour) désigne le
moment de l’écriture à partir duquel le diariste appréhende son
existence et le monde - et ce moment, ce point de vue se déplace avec le
temps. La suite des notations constitue « une espèce d’histoire » de
soi, comme l’écrit Benjamin Constant qui ajoute : « j’ai besoin de mon
histoire comme de celle d’un autre pour ne pas m’oublier sans cesse et
m’ignorer » (21.12.1804). Le journal est le double écrit de l’existence
qui, sans lui, tombe dans le passé et glisse dans l'oubli.
Questions et perspectivesLe journal est à la fois une pratique ordinaire et un genre littéraire.
Il apparaît sous sa forme moderne à la fin du
XVIIIe siècle dans le milieu
bourgeois qui voit la promotion de l'individu dans la société post-révolutionnaire
2.
D’après les statistiques du ministère de la culture, environ 8 % des
Français tiennent un journal personnel ou notent leurs impressions ou
réflexions
3,
ce qui montre que la pratique de l’écriture de soi intermittente est
loin d’être marginale. Une enquête de Philippe Lejeune, réalisée entre
1987 et 1988, en a précisé les modalités
4.
Le développement d’une association comme L’Association Pour
l’Autobiographie, qui recueille tous les textes autobiographiques depuis
le début des années 1990, est un signe de l’importance de cette
pratique et de la valeur qui lui est accordée par ceux qui s’y livrent.
Toutefois, la forme reconnue du genre reste celle des journaux
d’écrivains ou d’intellectuels : Maine de Biran, Benjamin Constant,
Stendhal, Jules Michelet, Henri-Frédéric Amiel, Edmond et Jules de
Goncourt, Marie Bashirtseff, Léon Bloy pour le XIX
e siècle, et Paul Léautaud, André Gide, Valéry Larbaud, Julien Green, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir etc. pour le XX
e.
On ne peut pas dire pour autant que la forme du journal soit figée : le
genre est très plastique ; les variations entre les journaux et entre
les époques sont importantes. Mais ces quelques grands textes tendent à
faire oublier que la pratique est beaucoup plus large que ce qu’on en
lit habituellement et que de nombreux journaux inconnus ou moins connus
méritent la lecture.
Le journal est
a priori un texte qui n’est pas destiné à être
lu par autrui – au moment de l’écriture au moins. Pourtant, nous lisons
des journaux, soit parce qu’ils ont été publiés après la mort de leur
auteur, soit parce que celui-ci l’a publié, de façon partielle ou
intégrale, de son vivant. On peut croire que toute lecture du journal
non voulue par l’auteur est une effraction ; on s’aperçoit toutefois que
les diaristes ont souvent, et dès les premiers textes qui ont été
conservés, envisagé une lecture extérieure : Restif de la Bretonne
débute ses
Inscripcions comme un prolongement de
Monsieur Nicolas5,
Benjamin Constant observe qu’on écrit toujours « pour la galerie »
(18.12.1804), Amiel espère que ses exécuteurs testamentaires tireront un
ou deux volumes d’extraits des 17000 pages de son journal intime. Et
Barbey d’Aurevilly fait paraître dès 1856 ses premiers
Memoranda avant que Léon Bloy ne publie le sien par volume à partir de 1898. C’est
sans doute que l’écriture secrète est plus ambivalente qu’on ne veut
bien le penser souvent. D’une part, écrire sur soi est toujours une
manière de transcender son expérience par le discours, de faire de son
existence une
histoire. Le journal, comme tout écrit autobiographique, est une forme de
littérarisation de son existence. D’autre part, l’écriture intime vise, comme, encore,
toute écriture autobiographique, à dénoncer une injustice, à rétablir
une vérité, à « justifier sa vie » comme l’écrit Julien Green
(19.11.1954)
6.
Et en tant que telle, l’écriture judiciaire suppose un lecteur
bienveillant. On peut penser que si un destinataire est explicitement
dénié au journal, un lecteur est toujours secrètement espéré et qu'il
pourra le comprendre intimement. Le temps sert pour cela de filtre
imaginaire permettant d’écrire. Si au présent le diariste ne peut pas
envisager de lecteur, il peut espérer être reconnu dans un autre temps.