abdelhalim berri المدير العام
الإسم الحقيقي : Abdelhalim BERRI البلد : Royaume du Maroc
عدد المساهمات : 17537 التنقيط : 95062 العمر : 64 تاريخ التسجيل : 11/08/2010 الجنس :
| موضوع: le Portrait de Boudoubour -Deuxième partie الإثنين 31 أكتوبر 2011, 18:56 | |
| | | LES DUPES SONT CEUX QUI NE VOIENT DEVANT EUX NI RIEN DE BEAU NI RIEN DE GRAND - Cervantès (Don Quichotte)
Vint le jour de l'épreuve du Certificat d'Etudes qui devait sanctionner ma scolarité et en sonner le glas.
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| A la ferme, l'événement ne suscita aucun remous, aucune remarque, aucun en- couragement. Je partis, ce matin là, exactement comme tous les autres matins.
Les épreuves s'étendaient sur deux jours. L'école avait été réquisitionnée et vidée de ses élèves habituels pour faire place aux candidats du canton.
Le premier jour était consacré aux sciences, aux mathématiques, à la géographie, à l'histoire. Toutes matières dont je me tirais sans trop de mal. Le deuxième jour vint le tour du chant, de la grammaire, de l'orthographe, de la composition française. Nous eûmes trois heures pour écrire un texte dont le sujet était " Parlez de votre meilleur ami. Décrivez-le et racontez quelques souvenirs. "
Comme je vivais depuis toujours dans cette sorte de schizophrénie propre aux enfants bafoués quêtant vainement une parcelle de reconnaissance d'eux-mêmes et quelques miettes de leur propre valeur que leur refusent des adultes dégénérés, j'avais développé un imaginaire foisonnant dans le terreau fertile duquel Boudoubour était né comme un champignon. Il était moi sans être moi. Il était la meilleure part de moi-même. Il était aussi le mirage concret, l'illusion réelle d'une amitié telle que j'aurais voulu la connaître avec un enfant de mon âge. Il était mon meilleur ami, alors j'écrivis en titre " Le Portrait de Boudoubour ". La plume courait allègrement sur le papier sans que je ressentisse le besoin de faire le moindre brouillon.
Les résultats de l'examen furent placardés deux jours après la fin des épreuves. J'appris que j'étais reçu premier de mon département. |
| | En quittant la cour de l'école où les listes étaient affichées, je rencon- trai mon ami le libraire qui m'attendait impatiemment sur le trottoir.
- Mon cher Antoine je dois te mettre au courant d'une petite conspiration ..que nous avons ourdie avec ton maître. Voilà, ton travail scolaire a |
| ..toujours été très au-dessus de la moyenne. Nous avons su dès le premier jour des ..épreuves qu'une fois de plus tu te distinguerais haut la main. Mais ton " Portrait de ..Boudoubour " a remporté tous les suffrages. Ton maître m'a dit qu'il avait été lu à ..haute voix par ton correcteur devant les autres correcteurs et devant monsieur ..l'Inspecteur d'académie qui supervise le travail. J'ai eu cette copie entre les mains, ..et ma foi, je dois avouer que ce n'est pas trop mal. En fait je suis très fier de toi, ..mon garçon.
A ce moment de son petit discours il sortit un grand mouchoir de sa poche pour y enfouir son visage tout en pestant d'une voix étouffée contre un moucheron qui se serait fourvoyé dans son oeil, ce qui l'obligeait à pleurer. Après quoi il se moucha vigoureusement et reprit : - Bref, il serait criminel que tu arrêtes tes études. Nous avons parlé avec monsieur ..l'Inspecteur pour le mettre au courant des… hem... réticences de ton père. Il s'est ..engagé à faire le nécessaire pour t'obtenir une bourse qui te permettrait d'aller au ..moins jusqu'au Baccalauréat. Tu es content ?
Si j'étais content ! Il ne pouvait pas entendre le tintamarre de joie qu'il y avait dans ma tête. Boudoubour, le vrai héros de la fête, cognait des cymbales géantes l'une contre l'autre comme un forcené sous mon crâne.
- Je suis plus que content, je suis heureux. Mais seulement, comment faire avec ..mon père ? - Sois sans crainte. Tout est prévu. Monsieur l'Inspecteur enverra une lettre à ton ..père pour lui expliquer la situation et l'opportunité qui s'offre à toi. De plus, nous ..viendrons plaider ta cause devant lui. Je serais bien étonné qu'il s'obstine. |
| | Bien que tout soit prévu de si agréable manière je passai les jours suivants dans une angoisse nerveuse proche de la transe.
Un mardi, nous déjeunions, quand une petite délégation constituée du maître d'école, de mon ami le libraire, de l'inspecteur d'académie vint |
| frapper à la porte vitrée de la cuisine. Ma mère se leva et alla ouvrir. Elle les pria d'entrer mais n'osa pas aller plus loin et repris sa place à table. Mon père continuait de laper sa soupe sans daigner leur jeter un seul coup d'œil, sans les inviter à s'asseoir.
J'étais galvanisé par l'émotion depuis que mon ami le libraire m'avait fait part du grand projet conçu pour moi. Je devais être livide d'anxiété. Je jetai un regard alentour et pendant qu'un silence pénible s'installait, entrecoupé par le bruit de la cuillère de mon père raclant le fond de son assiette, j'eus le coeur tordu en remarquant l'hilarité à peine voilée de mon frère, la peur de ma mère et la colère sourde de mon père.
Le premier, l'inspecteur d'académie, après quelques grattements de gorge limi- naires, pris la parole : - Monsieur Lareçource, nous vous avons annoncé notre visite et son motif par lettre. ..Votre garçon, Antoine, est un élève remarquable et digne d'intérêt... - C'est tout à fait cela ! l'interrompit mon ami le libraire avec ferveur.
L'inspecteur lui jeta un regard courroucé lui signifiant qu'il était déjà bien assez embarrassé comme ça, sans qu'il lui fasse perdre le fil de ses idées par des digressions sans intérêt. - Oui, hem ! Je disais donc qu'au regard de ses notes et de ses capacités intel- ..lectuelles votre fils mérite de continuer ses études… - J'oserais même dire doit continuer ses études, précisa le maître d'école. Il aurait ..bien ajouté autre chose si l'inspecteur ne l'avait foudroyé d'un sec : - Laissez-moi poursuivre, je vous prie !
... Avant d'enchaîner. |
| | - Par dérogation spéciale, il a été voté pour lui une bourse qui prendra en ..charge tous ses frais de scolarité, livres, fournitures, pension d'internat ..et de cantine, uniforme, déplacements. Vous voyez que rien n'a été ..négligé par la Nation à laquelle vous allez donner en la personne |
| ..d'Antoine un de ses plus beaux fleurons.
Mon père dut considérer qu'il en avait assez entendu. Il se leva d'un bloc en repous- sant du talon sa chaise dont les pieds grincèrent sur le carrelage avant d'aller s'abat- tre sur le sol. Appuyé des deux mains sur le bord de la table, le torse penché en avant, les veines du cou gonflées, il aboya : - Votre lettre, je l'ai pas lue ! Je comprends rien à vos phrases de babillards. Et je ..m'en fiche. Si vous croyez que je vais vous donnez l'Antoine, vous vous trompez ..mes beaux messieurs les ronds-de-cuir. Mon fils, je l'ai pas nourri pendant quatorze ..ans pour qu'il devienne faignasse comme vous. Il travaillera à la ferme. C'est encore ..lui qui nourrira vos grandes gueules. Il est à moi, je le garde. Que ça vous plaise ou ..non. L'école est obligatoire jusqu'à quatorze ans que je sache ? Je suis en règle. ..Foutez-moi la paix. Maintenant débarrassez le plancher et plus vite que ça avant ..que je vous sorte à coups de botte dans le cul !
Mon ami le libraire, le visage décomposé, essaya de protester : - Laissez-nous au moins vous dire…
Mais sur un grognement plus fauve et un geste plus menaçant de mon père, je vis s'envoler par la porte de la cuisine ces trois oiseaux d'un paradis auquel je n'aurai jamais accès. - Vous autres, sortez aussi, dit mon père en s'adressant à ma mère et à mon frère. Ils n'attendirent pas qu'il répétât son ordre et s'empressèrent de décamper.
- Maintenant, à nous deux ! Je vais te montrer qui est le maître et qui donne les ..leçons, ici. |
| | Il rit de son bon mot avant de défaire prestement sa grosse ceinture de cuir qu'il tint de manière à laisser la boucle pendre librement.
Je fis deux ou trois fois le tour de la table afin de retarder le premier coup. |
| Ivre de rage, il cinglait l'air en tous sens avec des mouvements désordonnés fouet- tant au hasard la suspension, l'horloge, une carafe, le placard. Dans sa hâte à me rejoindre il se résolut à prendre un raccourci en montant sur la table encore dressée. Un morceau de pain détrempé de soupe lui fut fatal. Il glissa dessus, fit une culbute et vint s'étaler comme une crêpe à mes pieds.
L'immense déception que je venais de ressentir se cristallisa en une colère froide qui me tint lieu de courage. Il était loin le temps où parrain Léo pouvait me tenir à bout de bras. J'avais beaucoup grandi, les travaux de la ferme m'avaient musclé et rendu fort. Lorsque je vis mon père à ma merci, je ne perdis pas une seconde. J'empoignai des deux mains une des lourdes chaises et avec des " han ! " de bûcheron je l'a- battis plusieurs fois sur lui jusqu'à ce que je le laisse sonné pour le compte. Je ramassai sa ceinture et j'attendis qu'il revienne à lui.
Quand il fut suffisamment lucide, je jetai la ceinture dans les braises du foyer et je lui dis : - Plus jamais, tu m'entends ? Plus jamais tu ne me toucheras. Puis le grand homme que je n'étais pas partit s'enfermer dans sa chambre pour pleurer.
Allongé sur mon lit, la tête en feu, je réalisai qu'en quelques phrases brutales, qu'avec quelques mots bas et vulgaires mon père avait su défendre son bon droit. Son bon droit étant aux antipodes de mes aspirations il avait réussi à m'anéantir en aliénant mon corps et mon esprit à la ferme. Il me semblait à ce moment que je serai toujours séparé du monde des vivants. |
| | Pourquoi m'étais-je acharné pendant des années à essayer de voir au-delà des toits de l'écurie et de ceux de la porcherie puisqu'il suffisait d'une pichenette pour que tout vole en éclats.
Même la victoire remportée ce jour là sur la férocité de mon père me |
| semblait dérisoire. Que lui importait de ne plus me battre ? Il lui suffisait de savoir qu'il m'avait enchaîné définitivement. A peu, même, qu'il ne pense m'avoir transmis sa propre violence et en tire fierté.
Dans la nuit, la fièvre s'empara de moi. Je restai inconscient pendant plusieurs se- maines. Puis je revins à ce qui devait être ma vie. Alors j'endossai la souquenille de rustre que je ne devais plus jamais quitter.
Et quatre autres années passèrent. J'avais dix-huit ans.
La haine s'était définitivement installée entre mon père et moi.Je ne pouvais rien attendre de ma mère, ni de personne d'ailleurs. J'étais tributaire d'une loi inique qui fixait la majorité à vingt et un ans et permettait à un père d'abuser de son autorité parentale. Je travaillais comme une bête de somme en ayant perdu jusqu'au reflet du dernier vestige de mes plus grands rêves.
J'évitais même de me rendre en ville pour ne pas passer devant la librairie d'où mon ami était absent. Il mourut un mois après sa visite à la ferme. Je l'appris quand j'eus repris assez de forces après cette longue prostration où le désespoir et la fièvre m'avaient plongé.
Puis un soir de printemps, nous vîmes le cheval Pompon entrer seul en boitant dans la cour de la ferme, il traînait derrière lui la herse à laquelle il était attaché.
Nous trouvâmes mon père au milieu d'un champ de colza, couché sur le dos, les bras en croix, le crâne défoncé, tenant encore son couteau à la main. |
| | Nous supposâmes que penché sur la jambe arrière de Pompon pour essayer de déloger un caillou coincé entre le fer et le sabot, il reçut en pleine tête une ruade du cheval qui le tua sur le coup.
Après l'enterrement, il fallut fouiller dans ses affaires pour y mettre un |
| peu d'ordre, pour trouver des titres de propriété et un éventuel testament qui règlerait sa succession.
La chose devenait urgente puisqu'une fois les frais d'obsèques réglés, nous nous retrouvâmes gros-jean comme devant sans un sou en poche. Mon père étant par nature méfiant et par définition ennemi de la chose écrite et des banquiers, il s'était toujours arrogé le soin de la gestion de sa ferme sans tenir personne au courant de ses faits et gestes. C'est lui qui donnait à ma mère l'argent de la semaine pour les provisions, lui qui décidait d'acheter telle ou telle semence, de vendre telle ou telle bête. Nous ne savions pas où il rangeait son argent et ses papiers.
Nous n'avions rien trouvé, jusqu'au moment où ma mère s'avisa qu'une certaine clé du trousseau de son mari entrait dans la serrure d'un buffet vénérable relégué à la cave. Elle ne l'avait jamais vu ouvert avant ce jour.
Quand les portes de ce buffet furent écartées nous vîmes, soigneusement empilés une centaine de louis d'or, des liasses de billets de banque, tout un fouillis de paperasses jaunies. Puisque j'avais eu, naguère, du goût pour les études, on me chargea de faire l'in- ventaire du coffre au trésor.
Je commençai par le vider. Mais, après l'avoir vidé, je découvris tout au fond, une boite à chaussures fermée par une ficelle. Une fois la ficelle ôtée et le couvercle enlevé je vis qu'elle était remplie de lettres qui m'étaient adressées.
Les timbres étrangers disaient qu'elles avaient été postées d'un peu partout dans le monde. |
| | La couleur des enveloppes allait du jaune paille au blanc montrant qu'elles avaient été jetées l'une par-dessus l'autre au fur et à mesure de leur réception depuis sept ans. Pas une d'entre elles n'avait été ouverte. |
| Je pris la plus récente et vis que le cachet de la poste indiquait Buenos Aires novembre 19.. c'est-à-dire six mois avant la découverte de ces lettres. Je l'ouvris et commençai à lire.
Antoine, mon cher Crapaud, Je suis toujours installé en Argentine où je t'attends. Chaque fois que je pense à la France, c'est toi que je vois parce que tu es le seul être qui me manque. Le temps me dure chaque année un peu plus de te revoir. Le plus difficile est de croire qu'au fil du temps tu m'as oublié.
Elle était signée Léo. Elles étaient toutes signées Léo. Je passai le reste du jour et une partie de la nuit à lire les lettres de parrain Léo. J'en trouvai une datée de l'année de mon Certificat d'Etudes.
Crapaud, Je ne me remettrai jamais de notre rendez-vous manqué du Certificat d'Etudes. Je suis venu d'Argentine tout exprès pour te chercher et tu n'étais pas là. A la ferme, ton père m'a dit que tu avais choisi le travail de la terre et que tu refusais de me voir. Je ne l'ai pas cru. Je suis allé en ville voir ton ami le libraire mais sa librairie était fermée. Je lui ai laissé une lettre avec mon adresse ici, à Buenos Aires. J'aurai peut-être plus de renseignements par lui.
Au fil de ces lectures, je réalisai de quelle façon méthodique j'avais été bâillonné, aveuglé, rendu sourd, avec quel acharnement, durant sept ans, on avait éloigné de moi la moindre pousse d'enthousiasme, extirpé le plus petit regain d'espoir et de joie de vivre. |
| | Je fus pris de tremblements incoercibles devant l'étendue des ruines de ma vie. Je mesurai pleinement à quel travail de sape, constant et minutieux s'étaient livré l'égoïsme forcené de mon père, la lâcheté et l'indifférence de ma mère, la médiocrité de mon frère, pour me con- damner à vivre englouti dans le silence et le froid de leur nuit. |
| . Mais comme un signal de délivrance, un appel à la vie, j'entendis, du plus profond de mon âme une voix jadis familière et depuis longtemps oubliée, celle de Boudoubour, réciter doucement la Tristesse de Musset. J'ai perdu ma force et ma vie, et mes amis et ma gaieté....
Une autre voix vint se joindre à la sienne, celle de mon ami le libraire, pour me rappeler : Voilà la force de la parole écrite, elle se transmet. Tu trouveras sur ta route d'autres amis. Il faut aller les chercher, leur être fidèle et rester fidèle à toi-même.
Au petit matin, je secouai un sac en toile de jute pour en faire partir les dernières traces de semence, j'y plaçai soigneusement la boite à chaussures dans laquelle j'avais remis les lettres de parrain Léo. Je jetai par-dessus, pêle-mêle, le peu de vêtements nécessaires à un voyage. Je pris la part d'argent qui me revenait ne serait-ce que pour les années de misère que j'avais passées dans cette ferme. Cette part, payée à ma jeunesse volée, servirait à envoyer un télégramme à Léo et à régler mon embarquement sur le premier bateau en partance pour Buenos Aires.
Personne ne me vit pousser pour la dernière fois le vantail de la porte cochère de ma vieille prison, sauf le soleil radieux qui se levait et vers lequel j'allais.
FIN DE L'HISTOIRE
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